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B o l o g n a   2015 (Spain)

        "Dès que j'en ai l'occasion, je m'échappe. Aller ailleurs, hors de chez soi, se nourrir, se détacher, lâcher prise, ceci m'est vital. Aller vers l'autre est riche en expérience, s’imprégner de sa culture, sortir de son trin-trin, se prélasser, vivre et s'apaiser. Souvent, je me fonds dans le décor, tel un caméléon, on ne connait ni mon âge, ni mes origines, si je suis autochtone ou touriste, à part quand j'ai un sac à dos aussi visible que celui-ci. Puis, être brune et ronde en Andalousie paraît être un avantage, il y en a partout! L'Andalousie, source de mon inspiration, de l'air marin à la pureté des montagnes pour écrire mon spectacle O'Zaman, un voyage de l'Inde à l'Espagne, retraçant la vie des peuples, la mienne quelque part dissimulée à travers les mots. Chaque voyage nourrit un peu plus ma créativité d'artiste, et c'est souvent à l'étranger que j'écris, comme si, je devenais soudainement toute neuve, avec une autre conscience, faire attention à toutes ces nouvelles choses qui m'entourent, les sentir, des faits qui ne s'expliquent pas mais qui se vivent.  Un moyen également de renouveler son quotidien, ses énergies, pour mieux être et continuer à être créative, novatrice, avec soi et avec les autres. Puis ailleurs, ma voix s'évade aussi, des harmonies éphémères que l'on trouve sur son passage. Mes voyages sont pleins de richesse et de rebondissements, la chance est toujours avec moi, advienne que pourra" - Manouela Menty

A p o l d  -  2006 (România)

            

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          " Hier, Ana, une kalderash ou kortoral est venue pour lire les lignes de la main d'Alex et le mare de son café. Beaucoup de femmes pratiquent cette magie, bien que l'on doute de sa véracité ou qu'on en fait une légende en occident. Dans la vie des tsiganes, la magie noire est très présente, et c'est toujours une affaire de femmes. Souvent, il est question de vêtements étendus à l'extérieur qui sont volés pour qu'un « popa » fasse des prières et ensorcelle l'esprit de la personne concernée. Le monde de l'au-delà les fascine énormément, et il rejoint le monde de « Dieu ». Le mot Dieu est prononcé au moins dix fois dans la journée. Un tsigane du village me dit: « cet été, j'agrandis la maison pour construire une autre pièce, si Dieu m'aide ». Leur vie est régie par Dieu, et les tsiganes existent à travers sa volonté. D'une grande spiritualité, leur foi leur donne beaucoup de courage et une grande force dans l'acceptation de ce qui leur arrive. « Doamne, ce sa fac ? » « Dieu, qu'est ce que je fais », est une affirmation interrogative, et non une question, une affirmation pour accepter le sort de leur vie et dire qu'il n'y a rien d'autres à faire.

          Ana, ce jour-là, portait sa jupe fleurie et ses rubans rouges pour attacher ses cheveux. Dans sa culture, les cheveux sont précieux, ils sont à cacher, étant une symbolique sexuelle, tout comme les jambes. Contrairement aux seins, qui auraient plutôt une tendance maternelle, ils ne sont pas cachés lorsqu'une mère allaite. Je me trouvais seule dans la maison, et je l'ai alors convié à boire un thé, tel un moment privilégié me permettant d'orienter la discussion sur sa vie de femme. Elle s'est comme vendue toute seule, un grand besoin de raconter son histoire et de partager la mienne, moins périlleuse. Âgée de 25 ans, elle s'est mariée à 18 ans, elle a fait naître deux enfants. Dernièrement, son mari l'a envoyée à l'hôpital la veille du réveillon, il lui avait donné des coups de fourchettes dans le dos. 7 ans que cette violence existe au sein de son foyer, et la violence devient encore plus perverse. Son mari la trompe aussi, comme beaucoup d'hommes menant une double vie, avec une femme à la maison pour l'entretenir et une autre considérée comme « pûte », la « curva », pour son plaisir sexuel. Autant pointer du doigt la place de la femme en Tsiganie, c'est plutôt convainquant quand on a des idées féministes, d'accompagner ces femmes qui ont un grand besoin d'écoute. Cela dit, chez les roumains et hongrois, la domination masculine aussi prend le pas. Pour Ana, c'est normal d'avoir cette place, elle a grandit comme ça, mais au fond d'elle, contant son histoire, les larmes aux yeux, elle sait très bien que son mari lui fait du mal et n'est pas digne de son amour."

 

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3 0  j o u r s  à  I s t a n b u l  -  2014

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"It was during the autaumn. A jam session in a bar Arsën Lüpën in Taksim district. My first show was with the marocan guitarist El Ghali Abassi, we meet this night. I was very exited to sing, here, in Istanbul. It was like a evidence to follow this rythm and to create a song. I have wrote the lyrics, "the crowd" is born, the name of this song. It was improvisation way, with an especialvocal language, in french we speak about "the yaourt", and I like it. Thanks to Charlène Piaia to have recorded with her phone!"

Istanbul 1er jour

Waouw! Plein les yeux, plein le cœur! Je ne pensais pas à quel point Istanbul la géante me connaissait tant, aucune impression d'y être étrangère! A part l'aspect linguistique, bien abordé d'ailleurs aujourd'hui, avec des nouveaux mots appris et un français partagé à l'office du tourisme. La dame a senti mes origines, autres que françaises. De bons échanges sur la situation sociale des turcs. Professeurs et instituteurs manifestent à répétition comme d'autres fonctionnaires, les salaires sont maigres, ici, pour les 25 millions de "stambouliotes". Dur d'envisager sa vie ailleurs même quand on est muni d'un passeport vert, difficile alors d'aller sentir les champs de lavande dans le sud de la France me disait elle. Ce n'est qu’après, une fois dans le bus, que j'ai aperçu quelques enfants tsiganes faisant la manche au feu rouge, jouant quelques notes d’accordéon sur Istiklar Street ou vendant des kleenex. Ça me rappelle Bucarest, des orphelins au linge sale et aux pieds nus, situation plus que déplorable, ils ne sont malheureusement pas aussi aidés qu'en France (bien que la France ne soit pas le meilleur exemple). Je n'ai pas encore eu l'occasion de parler avec l'un d'eux. Pourtant j'ai longuement vadrouillé à pied. Certaines rues semblent être à l'infini, peu de musiciens en cette période, un seul qui jouait du hangdrum. Nous aurons que l’embarras de la place pour jouer dans la rue en toute liberté. Des chats, beaucoup de chats, chatons qui dorment sur les étalages au sol,  les enfants qui s’arrêtent pour les caresser ou un vieux avec sa canne pour les secouer. Et la vie sur l'eau, la vie sur le Bosphore, Il fait tellement beau que le bateau ne voulait pas me fermer ses portes. J'ai parcouru de nombreux trajets notamment vers la partie asiatique que j'ai un peu visité. C’était chouette. La traversée de la mer de Marmara était très reposante, dépaysante, j'ai été prise de rêverie, entendre les mouettes, mais aussi les silences, le chant de la prière, certains plongent leurs regards dans les vagues, d'autres veulent les toucher, ou d'autres encore pensent face a l'horizon, en débauchant ça ne peut être qu'apaisant. Et des regards, des sourires, des incompréhensions ou des tentatives de compréhension, de la drague du douanier au vendeur, j'ai bien ri. Istanbul c'est un grand bazar moderne. Sniff j'ai loupé le concert de Sezen Aksu! Demain opération derbouka, Mystère Daoud arrive, alors ça va guincher dans Taksim et toute la nuit car j'ai pas de bus pour rentrer à Kocamustafapasa! Allez à la popote. Ce soir c'est moi qui régale avec du vin de Bordeaux s'il vous plait!

Istanbul 2eme jour

Aujourd'hui, en bus, je me suis arrêtée avant le centre, après un petit tunnel, où des centaines de vélos sont accrochés pour être vendus, aux abords de cette grande avenue, sur laquelle voitures, bus et 2 roues roulent à toute allure. Des magasins en tout genre sur 2 voire 3 étages vendant instruments de musique, tissus, uniformes, tapis, des kilomètres de commerce. Je n'ai fait que crapahuter d'une boutique à une autre, d'un côté de l'autre de cette longue avenue avec un seul passage piéton. J'ai hésité longuement mais j'ai trouvé la derbouka que je cherchais, légère pour les concerts de rue, très bon marché et prête à voyager. Les taxis jaunes et le design des enseignes m'ont rappelée la Roumanie. Tout comme les foulards aux couleurs éclatantes portés par les vieilles dames ou les tsiganes. Ici, les coloris sont variés, de magnifiques tissus. Il n'y a que les burkas qui manquent de couleur. On imagine alors les visages, les identités, va savoir, des hommes doivent bien s'y cacher! Beaucoup de femmes mûres se dévoilent, adoptant une vie plus moderne et libérée et notamment les jeunes femmes, largement moins adeptes de la tradition - idem dans de nombreux pays - Actuellement, en Turquie, la tradition reviendrait fortement - Il y a 10 ans les femmes turques ne se couvraient pas intégralement et dans les années 70, elles allaient à la plage en bikini - La condition de la femme turque a changé, avec apparemment un fort repli sur la religion dans de nombreux quartiers. Cela dit, en qualité de femme ronde, aux côtés de ces femmes aux vêtements amples, ce sont elles qui, à mes yeux, portent la différence, un sentiment plutôt agréable de se fondre dans le foule sans être remarqué, ce que je vis différemment en France. Tout compte fait, je n'ai pas repris le bus, trop bondé et bruyant - En même temps, le bus apporte une autre vision de la vie quotidienne. Istanbul est tellement en mouvement que le bus permet de faire une pause, quand on voit les paupières dansaient, certains s'endormant sur les banquettes, épuisés de leur labeur quotidien. Les sorties d’école sont joueuses, je m'imagine ce qu'il se dit, certaines blagues semblent être déplaisantes. Les femmes parlent avec leurs enfants qu'elles portent dans les bras - En longeant cette longue avenue, j'ai aperçu un marché clandestin au loin sur ma droite. Bienvenue dans le monde des sans abris qui vendent tout et n'importe quoi pour s'offrir de quoi manger.  C'est en achetant une jupe longue à 2 lira (0.75e) que j'ai discuté avec l'un d'eux,  un palestinien,  parlant  turc, français et anglais. On se disait que je pouvais revenir avec des musiciens et du Raki qu'il appelle "The Lion drink" et se donner de l'énergie en chantant ensemble. Il a ajouté "de toute façon je reste là, c'est ici que je dors". Des familles arabes et tsiganes cohabitent donc sur cet espace vert au bord de cette immense avenue où l'argent est roi, mais en général les familles ne se parlent pas, elles survivent ensemble sur ce même territoire toléré, car aucune autre solution ne leur est proposé. D'autres tsiganes errent, des enfants seuls, une mère qui change son bébé par terre. Et les hommes et les femmes me regardent. Quand je m'adresse à eux, beaucoup ne comprennent pas que je ne parle ni turc ni arabe, je ne les comprends pas non plus. Alors ces rencontres impromptues sont des moments de rigolades et de fous rires, de brefs instants remplis de sourires qui rendent leurs journées plus délectables. Ce soir, j'ai rencontré des musiciens syriens arrivés en terre turque depuis 6 mois, fuyant la guerre de leur pays. Des visages marqués et des énergies épuisées que la musique relève, tant elle offre la paix intérieure à ces âmes meurtries. La musique les fait vivre tant bien que mal. Accordéon, oud, guitare, trompette, des virtuoses! Leur chant arabe à l'unisson était émouvant, accompagné du public de la rue comme du baume au cœur pour tous. Les frissons m'ont pris, c’était beau, nostalgique mais apaisant. Loin de leur pays en guerre, tous souriaient, les gens tapaient des mains. Nous avons chanté ensemble "Lama bada yatathana". On va se revoir dans un café prés de la Tour de Galata. Hier je chantais une chanson turque avec un vendeur. Et demain ce sera avec Mystère Daoud in the street, s'il fait beau. Ce soir, découverte de la scène ouverte au bar Arsene Lupin, ça ne change pas nos jeudis Chabaret à Bordeaux. Mais on m'a aussi dit hier: "Allez sur le Bosphore, ça va vous inspirer".

A p o l d  -  2006 (România)

             [...] Presque deux semaines que je suis de retour dans les vallées d'Apold, non loin de Sighisoara, en plein cœur de la Transylvanie.  Le temps s'écoule si vite. Ici, en Roumanie, il prend une ampleur différente, sa notion m'est inconnue tant j'écoute mon corps au quotidien. Se coucher et se lever, peu importe l'heure, manger, se laver, peu importe l'heure, tel est le même rituel jour après jour, et peu importe l'heure. J'ai la nette impression de vivre en harmonie avec le train de vie qui me convient, sans contrainte liée au temps. Ici, le rythme de vie est aussi différent, il neige, il faut aller chercher l'eau au puits ou à la fontaine, couper le bois. Tout s'organise mais peu importe l'heure. Ici, c'est mon lieu de retraite, quand je ne suis pas en Tsiganie. L'idée de me retrouver seule m'apaise, et me confronte à nouveau à moi-même. Ici, je me retrouve, je me laisse vivre. Quitter quelques jours la Tsiganie de Csavas, le calme, la tranquillité me font du bien, les ballades en forêt aident au repos de l'esprit. Car dans le village, le repos n'existe pas ou peu, bien que la vie y soit agréable, ça remue dans tous les sens, les enfants occupent bruyamment l'espace, les adultes se réunissent pour parler et fort, ça crie, ça court autour d'eux, autour de moi. Moi, la gadgi qui ne parle pas le romanès, je commence à bien le comprendre. L'observation est devenue un passe-temps, saisir les expressions des corps et des visages pour comprendre ce qu'il se dit, et intervenir avec le peu de roumain que j'avais appris. Moi, gadgi, qui aime parlementer, exprimer mes idées et mes ressentis, je suis face au silence. Parfois, les tsiganes oublient que je suis là, pour une fois dans ma vie, je me sens transparente, on m'oublie du regard, du décor, des sensations intéressantes, donnant l'impression d'être le peintre de ce tableau de vie, se dessinant sous mes yeux. On devient alors objectif sur sa propre vie aussi, sa propre existence, observatrice de mes propres faits et gestes, de toutes mes pensées intériorisées, car personne ne les comprend ici, tant que je ne maîtriserai pas une de leurs 3 langues, le romanès, le roumain ou le hongrois.

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           C'est donc autour d'une vie plus paisible dans ce village saxon d'Apold que je prends désormais du temps pour moi, car en Tsiganie, il y a toujours quelque chose à entreprendre, surtout quand on est une femme! Ici, mon esprit est libre, un retour sur soi nécessaire pour mieux affronter cette réalité, la vie des tsiganes est rude, pas aussi bohémienne que l'on prétend, et leurs conditions de vie en feraient fuir plus d'un. Se détacher paraît primordial pour une meilleure cohabitation avec cette culture qui est à l'opposé de la mienne, et parfois, pas tant que ça. Je retrouve quelques similitudes en terme d'adaptation et d'autonomie, j'ai aussi grandi comme ça, avec une autorité très modérée,  qui était présente sans trop l'être. Un laisser aller ou plutôt laisser guider, qui permet de découvrir le monde avec tes propres appréhensions sans que l'on te donne des peurs ou un conditionnement. C'est bon d'écrire ces moments de vie partagés avec eux, les Autres, ceux qu'on regarde souvent de travers, ceux qu'on juge parce qu'on les considérerait moins chanceux. C'est ce que l'on m'a dit avant de partir, en France, à Bordeaux, à St Michel, les gens m'ont peu donné d'encouragements, ils m'ont surtout fait partager leurs peurs, leur ignorance face à cette découverte culturelle.

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      A Apold, j'écris tous les jours, un passe-temps qui devient favori, délectable à souhait, surtout quand je suis seule. Il y a comme, cette lumière d'hiver, très inspirante, qui m'amène à me réfugier au fond de moi, et à identifier par des mots tout ce qui s'y passe. En France, c'est différent, je n'écris pas ou peu, probablement trop engouffrée dans un quotidien, une routine, avec des heures à respecter, des contraintes qui deviennent antinomiques avec l'expression de soi et à la création. Ici, je suis comme revenue à l'état sauvage, sans clés dans mes poches, avec une lucidité de mon existence comme je ne l'avais jamais perçue. Puis, il est aussi vrai que cette région de Transylvanie te propulse dans ce qui a de plus naturel, les branches des arbres vêtues de blanc, les collines à perte de vue, les animaux sauvages, la nature à l'état pur. Le décor est magique, même dans le bidonville du village qui abritent des familles tsiganes, tant le blanc de la neige gomme tout sur son passage. Je n'avais encore jamais vu de telles conditions de vie. Les gens sont forts et courageux, avec rien, ils tentent le tout [...]

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      Les visites des femmes et des enfants tsiganes sont moins fréquentes ici depuis que Christina, la maîtresse de maison est repartie en Allemagne pour travailler, ravitailler son compte en banque afin de pouvoir vivre en Roumanie. Cependant, les femmes tsiganes nous réservent toujours des surprises, à l'improviste, nos 3 chiennes de garde guettent à l'entrée du portail. Les visites des hommes sont plutôt rares, sauf notre voisin, Marian, qui empruntait des outils, ou la brouette. Mais à ce jour, tout avait été volé une nuit alors que les chiennes dormaient à l'intérieur par ce froid glacial d'hiver. Cela arrivait souvent, tant les gens étaient démunis dans ce village. Notre maison représentait l'eldorado de l'Europe, il fallait les comprendre. Cela dit, les chiennes impressionnaient la plupart du temps, beaucoup avaient peur de ces bâtards à quatre pattes, qui n'auraient mordu personne. Et il suffisait d'un soir, où, près de la cheminée, pour que les chiennes roucoulent comme sur une plage en plein soleil. Cela me rappelle, cet été, à la gare de Vaslui, dans la région de Moldavie, les chiens des rues erraient ensemble, la meute était de sortie, impressionnant car ils étaient au moins 50, tous aussi maigres les uns que les autres. Ici aussi, les chiens sont peu domestiqués [....].

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